MONSIEUR DUDRON

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Sur l’Acropole: “On ferme!” 

    « Mais revenons à ma visite de l’acropole. J’étais donc là en train de me promener parmi les ruines et j’attendais anxieusement que le temps passât et qu’arrivât l’heure de la fermeture.
« Le temps passait et le soleil déclinait à 1 ‘horizon. Les bruits de la ville montaient jusqu’à moi ; j’écoutais le grand bruissement de cette ruche immense, faite de tant de cubes blancs alignés ; mais aussi ce bruissement diminuait peu à peu et bientôt j’entendis la voix lointaine et nasillarde d’un gardien qui criait: “On ferme !” …
« Le moment fatal était arrivé. Tandis que d’un air distrait je faisais semblant de me diriger vers la sortie, je me cachai derrière un amas de ruines; je mis mes gants blancs et je me poudrai copieusement le cou et le visage. Puis je me blottis parmi les pierres de façon à être visible le moins possible et j’attendis.
« À l’est, derrière la ligne violette des monts, la lune était parue. Une lune pleine, magnifique, royale, complète. Elle montait lentement, encore enveloppée par les vapeurs de la chaleur diurne. Le ciel s’obscurcissait. Je compris que le dernier visiteur était sorti. Sur ma tête apparurent les premières chauves-souris qui se mouvaient dans le crépuscule comme des oiseaux ivres. On entendait au loin aboyer des chiens et le bruit d’un train qui s’éloignait quelque part, vers le nord. Pourtant je décidai de ne pas bouger avant que la nuit fût complètement venue

Sull’Acropoli: “Si chiude!”

    Ma torniamo alla mia visita all’acropoli. Ero dunque lì, passeggiando tra i ruderi aspettando ansiosamente che passasse il tempo e venisse l’ora di chiusura. Il tempo passava ed il sole tramontava all’orizzonte. I rumori della città salivano fino a me; ascoltavo il brusio intenso di quell’alveare immenso fatto di tanti dadi bianchi messi in fila; ma anche quel rumorio diminuiva man mano e poco dopo sentii la voce lontana e nasale di un guardiano che gridava: «Si chiude!…».
Il momento fatale era arrivato. Con aria distratta e facendo finta di dirigermi verso l’uscita, mi nascosi dietro un ammasso di ruderi; infilai i miei guanti bianchi e incipriai abbondantemente collo e faccia. Poi mi rannicchiai tra i sassi in modo da essere il meno possibile visibile ed aspettai.
Verso l’est, dietro la linea viola dei monti, la luna era apparsa. Una luna piena, magnifica, reale, completa. Saliva lentamente, ancora avviluppata tra i vapori del calore diurno. Il cielo si faceva più scuro. Compresi che l’ultimo visitatore era uscito. Sopra la mia testa apparirono pipistrelli che si muovevano nel crepuscolo come uccelli ebbri. Da lontano si sentiva l’abbaiare dei cani ed il rumore di un treno che si allontanava in qualche parte verso nord. Decisi tuttavia di non muovermi prima che non fosse calata completamente la notte.

Varianti

Manoscritto Dusdron, metà anni ’30:
    Le soleil, en attendant, baissait à l’horizon; les bruits de la ville qui venaient d’en bas, ce grand bourdonnement de ruche immense diminua peu a peu d’intensité, et bientôt j’entendais la voix nasillarde d’un gardien qui en traînant les syllabes criait à intervalles réguliers “on ferme”. Le moment fatal était arrivé; tout en ayant l’air de me diriger de l’air le plus naturel du monde vers la sortie, je me cachai derrière un amas de ruines; j’enlevai vite les souliers noirs que je portais et les remplaçai par les souliers de tennis et je mis mes gants de fil blanc; puis je me blottis de façon à être visible le moins possible et j’attendis; à l’est, derrière la ligne violette des montagnes la pleine lune se leva; elle était magnifique, riche, royale, complète; une vraie pleine lune d’été; elle montait avec lenteur enveloppée encore par les brouillards de la chaleur; le ciel s’assombrissait; je sentais que le dernier visiteur avait quitté l’acropole mais je décidai de ne pas bouger de ma cachette avant que la nuit fût complètement venue,  […].

Une nuit sur l’Acropole, in “Le Voyage en Grèce”, Cahiers Périodiques du Tourisme, Edités par la Société Neptos, Parigi, Printemps –Été 1934, p. 5.
    Je me blottis au milieu un d’un amas de ruines de façon qu’on puisse m’apercevoir le moins possible et j’attendis le moment d’être seul. A l’Est, derrière la ligne violette des montagnes, la pleine lune se leva; elle était riche, royale, complète, magnifique, splendide; une vraie pleine lune d’été athénien; elle montait avec lenteur, encore enveloppée par les brouillards de la chaleur. A l’Ouest, le ciel s’assombrissait. J’eus l’impression que le dernier visiteur avait quitté l’Acropole mais je décidai de ne pas quitter ma cachette avant que la nuit fut complètement venue […]. 

Dattiloscritto Evangelisti, 1963 c. Cfr. Appendice 9.

Sur l’Acropole: Le gardien

    Ce fut très prudent de ma part de ne pas bouger car, quelques secondes après, j’entendis les pas d’un gardien qui s’approchait lentement de l’endroit où j’étais caché. Un frisson me parcourut le dos. Quand le gardien fut à deux pas de moi, il s’arrêta ; il ne se doutait pas de ma présence en ce lieu ; moi je sentais de terribles picotements dans tout le corps ; je regardais le gardien et me consolais en pensant que je n’étais pas un lièvre et que lui n’était pas un chien de chasse ; je me disais : “Quand même, il ne peut pas sentir mon odeur.” Je le regardais en retenant mon souffle, en évitant de faire le moindre mouvement. Il se tordait la moustache et regardait au loin ; puis il toussa, il cracha par terre et après avoir sorti de la poche de son veston une pipe, il la remplit de tabac. Je pensais au chasseur près de la caille qu’il ne voit pas. Les secondes me semblaient des heures. Le gardien alluma sa pipe ; il cracha encore une fois par terre puis, lentement, les mains derrière le dos, il s’achemina vers la sortie. Je commençai à respirer plus librement. Mais je ne me décidai à faire le moindre mouvement et à étirer mes jambes qui me faisaient cruellement souffrir que lorsque j’entendis le bruit de la porte grillagée qu’on fermait. Alors je compris que j’étais complètement seul.

Sull’Acropoli: Il guardiano

    Fu molto prudente da parte mia non muovermi perché pochi secondi più tardi sentii i passi di un guardiano che lentamente stava venendo verso il posto dove ero nascosto. Un brivido mi percorse la schiena. Quando il guardiano fu a due passi da me si fermò; non sospettava minimamente la mia presenza in quel luogo; io sentivo un terribile pizzicore in tutto il corpo; guardai il guardiano e mi consolai pensando che non ero una lepre e che lui non era un cane da caccia; mi dicevo: «Comunque non può sentire il mio odore». Lo riguardai trattenendo il respiro e cercando di evitare il minimo movimento. Egli si attorcigliava i baffi guardando lontano; poi tossì, sputò per terra e dopo aver cacciato dalla tasca del suo pastrano una pipa, la riempì di tabacco. Pensai al cacciatore vicino alla quaglia che questi non vedeva. I secondi mi parevano ore. Il guardiano accese la pipa, sputò ancora una volta per terra e poi, lentamente, le mani dietro la schiena, si incamminò verso l’uscita. Cominciai a respirare più liberamente. Ma non mi decisi a fare il più piccolo movimento e a stendere le mie gambe che mi facevano crudelmente soffrire prima che non avessi sentito il rumore del cancello che veniva chiuso a chiave. Allora compresi che ero finalmente solo.

Varianti

Manoscritto Dusdron, metà anni ’30:
    […], et je fis bien d’agir ainsi car quelques minutes après j’entendis les pas d’un gardien qui s’approchait lentement de l’endroit où j’étais caché; un frisson me parcourut le dos; arrivé près de mon refuge le gardien s’arrêta; il ne m’avait pas aperçu, j’étais à deux pas de lui; il se tordait lentement la moustache en regardant au loin; puis tourna, cracha par terre et ayant sortie de la poche de son veston une pipe et une blague à tabac, il commença à bourrer lentement sa pipe; on entendait au loin quelques bruits confus; des chauves-souris tanguaient sur nos têtes; je pensais au chasseur près de la caille qu’il ne voit pas; les secondes me paraissaient des heures; je retenais mon haleine; ayant bourré soigneusement sa pipe le gardien l’alluma, puis, d’un pas lent, les mains derrière le dos il s’éloigna vers la sortie; je commençai à respirer mais je ne me décidais à faire le moindre mouvement et à étirer mes jambes pleines de fourmillements que lorsque j’entendis se fermer la lourde grille qui était au fond de l’acropole; alors je compris qu’il était sorti et que j’étais enfin seul.

Une nuit sur l’Acropole, (“Le Voyage en Grèce” 1934):
    […] et ma prudence me sauva car, quelques secondes après, j’entendis les pas d’un gardien qui s’approchait lentement de l’endroit où j’étais caché. Un frisson me parcourut le dos. Arrivé près de ma cachette, le gardien s’arrêta; j’étais à deux pas de lui; il ne m’avait pas aperçu mais le moindre mouvement pouvait me trahir. Le gardien tordait doucement sa moustache et regardait au loin; puis il toussa, et, ayant sorti d’une poche de son veston une blague à tabac, il roula une cigarette, l’alluma et souffla avec volupté la fumée de la bouche et du nez. En entendit au loin des bruits confus: des chauves-souris tanguaient sur nos têtes; en regardant le gardien, je pensais au chasseur qui passe, le fusil en bandoulière, près de la caille qu’il ne voit pas. Je retenais mon haleine; les secondes me paraissent des heures. Ayant tiré encore deux ou trois bouffées de fumée, le gardien se croisa les mains derrière le dos et s’éloigna vers la sortie. Je me sentis plus tranquille mais je ne commençai à faire quelques mouvements et à étirer mes jambes pleines de fourmillements que lorsque j’entendis qu’on fermait la porte de la lourde grille qui se trouvait à l’entrée de l’Acropole. Alors, je compris qu’enfin j’étais seul. 

Dattiloscritto Evangelisti, 1963 c. Cfr. Appendice 9.

Sur l’Acropole: La vision

    La nuit était venue. À l’horizon, là où le soleil s’était couché, une pâle lumière persistait encore. Du côté opposé, dépouillée des vapeurs du soir d’été, la lune montait dans le ciel. La douce clarté, sa douce et solennelle clarté touchait à présent les colonnes et les ruines et allongeait leurs ombres sur le sol. Le silence devint plus profond. Je sentis tout à coup sur ma tête un bruit étrange comme si on avait retiré un énorme velarium.
« Les masques surhumains des dieux antiques apparurent, tels de gigantesques moulages accrochés au plafond du ciel qui semblait bas, très bas. On aurait dit que le ciel s’était approché de la terre de façon inquiétante. J’avais l’impression qu’en me dressant sur la pointe des pieds ou, tout au plus, en montant sur un de ces morceaux de colonnes brisées dont le sol était jonché autour de moi, j’aurais pu le toucher avec les doigts. Les masques divins souriaient. Une confiance indicible enveloppait toute chose et dans l’ineffable douceur de cette grande nuit, je sentis que le mal avait disparu. Les dettes avaient été payées, les châtiments abolis, les mauvais rêves enterrés, tous pêle-mêle, là-bas, au loin, dans les sables brûlants des déserts maudits. Tout ce que dans ma vie j’avais aimé, tout ce qui jusqu’alors m’avait été favorable, était près de moi.
« Je voulus regarder en bas, retrouver les lumières de la ville, car toute cette beauté et tout ce bonheur commençaient à m’inquiéter sérieusement et la valeur et l’utilité du mal et des ennuis quotidiens m’apparurent dans toute leur importance.
« Je voulus regarder en bas, mais je ne vis rien … Un doux brouillard était monté de la plaine et sur cette mer nouvelle, l’acropole ayant rompu les amarres, voguait, comme portée par le vent… »

Sull’Acropoli: la visione

    La notte era venuta. All’orizzonte, là dove era tramontato il sole, persisteva ancora una pallida luminosità. Dalla parte opposta, ormai emersa dai vapori della serata estiva, la luna saliva nel cielo. Il suo dolce chiarore, il suo dolce e solenne chiarore toccava in quel momento le colonne e i ruderi ed allungava le loro ombre sul suolo. Il silenzio si fece più profondo. Improvvisamente io sentii un rumore strano, come se sopra la mia testa fosse stato ritirato un enorme velarium.
Le maschere sovrumane degli dei antichi apparvero, simili a giganteschi modelli appesi sullo sfondo del cielo che sembrava basso, molto basso. Pareva che il cielo si fosse avvicinato alla terra in maniera inquietante. Avevo l’impressione che alzandomi in punta di piedi o, al massimo, salendo su uno dei frammenti di colonne di cui il terreno era cosparso, avrei potuto toccarlo con le dita. Le maschere divine sorridevano. Una fede indicibile pervadeva ogni cosa e nell’ineffabile dolcezza di quella grande notte io sentii che il male era sparito. I debiti erano stati pagati, le punizioni abolite, i cattivi sogni erano tutti sotterrati alla rinfusa laggiù, lontano, nelle sabbie scottanti dei deserti maledetti. Tutto ciò che nella mia vita avevo amato, tutto ciò che fino allora mi era stato favorevole, era con me.
Volli guardare giù, ritrovare le luci della città, perché tutta quella bellezza e felicità cominciarono ad inquietarmi seriamente, ed il valore e l’utilità del male e dei fastidi quotidiani mi apparivano in tutta la loro importanza.
Avrei voluto guardare giù, ma non vidi niente … Un dolce rumore era salito dalla pianura, e su quel mare nuovo l’acropoli, rotti gli ormeggi, navigava come portata dal vento … ».

Varianti

Manoscritto Dusdron, metà anni ’30:
    En attendant, la nuit était complètement descendue; à l’ouest seulement une pâle clarté persistait encore là où le soleil avait disparu. Du côté opposé, dégagée des vapeurs du soir d’été, la lune était montée dans le ciel; une lune pleine, énorme, claire et solennelle. Ses rayons éclairaient maintenant le fronton des temples et allongeaient l’ombre des colonnes sur le sol; le silence se fit plus grand; j’eus l’impression comme si on avait retiré au-dessus de ma tête un immense velarium. Les masques surhumaines des dieux antiques parurent tels des calques gigantesques sur le plafond du ciel qui s’était rapproché; ils souriaient; j’avais l’impression que j’aurais pu les toucher avec la main; une confiance indicible enveloppait chaque chose et dans la douceur solennelle de cette grande nuit d’été je compris que le mal avait disparu; les dettes payées, les punitions abolies, les mauvais rêves enterrés là bas au loin dans les sables brûlantes des déserts maudits; tout ce que j’avais aimé, tout ce qui m’avait été jusqu’alors favorable dans la vie était près de moi; je voulus regarder en bas, retrouver les lumières de la ville, car tout ce bonheur et cette beauté commençaient à m’inquiéter; mais je ne vis rien; des vapeurs, un doux brouillard était monté de la terre et sur cet océan de divine tendresse l’acropole flottait, comme un île sur un vaste et très doux océan tel un vaisseau de rêve [1] …

[1] La cancellatura nell’ultima frase ci lascia alquanto perplessi perchè toglie il soggetto (l’acropole) e il verbo (flottait) dell’intera frase. Cfr. de Chirico 1998 e 2004, dove compare ugualmente l’acropoli navigante, portata da un dolce rumore nella versione italiana e da una dolce nebbia nella versione francese: “Un dolce rumore era salito dalla pianura, e su quel mare nuovo l’acropoli, rotti gli ormeggi, navigava come portata dal vento …“ (1998); « […] Un doux brouillard était monté de la plaine et sur cette mer nouvelle, l’acropole ayant rompu les amarres, voguait, comme portée par le vent… » (2004) 

Une nuit sur l’Acropole, (“Le Voyage en Grèce” 1934):
    En attendant, la nuit était complètement descendue. Seulement, du côté du couchant, une pâle clarté persistait, là où le soleil était disparu. Du côté opposé, dégagée des vapeurs du soir, la lune était montée dans le ciel. Ses rayons éclairaient maintenant les frontons des temples et allongeaient leurs ombres sur le sol. Le silence se fit plus grand. J’eus l’impression comme si, au-dessus de ma tête on avait retiré un énorme velarium. Les masques surhumains des dieux antiques parurent, tels des calques gigantesques fixés comme des moulures au plafond du ciel qui paraissait tout bas, tout près de la terre. Il me semblait que, en me soulevant sur la pointe des pieds, j’aurais pu le toucher avec la main; et les masques souriaient ineffablement. Une confiance indicible enveloppait chaque chose. Dans la douceur solennelle de cette grande nuit d’été, je compris que le mal pour moi, autour de moi, avait disparu; les dettes payées, les punitions abolies, les mauvais rêves enterrés à jamais, avec les soucis et les angoisses, là-bas, au loin, très loin, dans les sables brûlants des déserts maudits.
Tout ce que j’avais aimé, tout ce qui m’avait été jusqu’alors favorable dans la vie, était près de moi. 
Je voulus regarder en bas, vers les habitations des hommes, retrouver les lumières de la ville, car toute cette beauté et ce solitaire bonheur commençaient à m’effrayer, mais je ne vis plus rien; des vapeurs, un doux brouillard était monté et cachait la terre à mes regards; sur cette océan de divine tendresse, l’Acropole, comme un grand vaisseau de pierre, comme un vaisseau qui a largué les amarres, voguait doucement à la dérive…

Dattiloscritto Evangelisti, 1963 c. Cfr.Appendice 9.

Isabella Far: quinxième épisode: Ritratti e nature morte

    L’ami de Monsieur Dudron se tut. Monsieur Dudron ne parla pas non plus et les deux hommes continuèrent ainsi à marcher en silence, dans la nuit, l’un à côté de l’autre.
Ils étaient en attendant arrivés aux portes de la ville. Comme ils étaient tous les deux un peu fatigués, car ils avaient marché pendant assez longtemps, Monsieur Dudron invita son collègue et ami à monter chez lui pour se reposer un peu et boire quelque chose.
Quand ils furent dans l’atelier de Monsieur Dudron, celui-ci pria son ami de s’installer confortablement dans un fauteuil et, pour mieux se reposer, d’étendre ses jambes sur un tabouret. Puis Monsieur Dudron alla chercher une bouteille de vieux vin et deux verres et, tandis qu’il s’installait sur un autre fauteuil, après avoir versé le vin dans les verres et allumé sa pipe, il commença ainsi: « Ce que vous m’avez raconté, tout à l’heure, cher ami, votre aventure sur l’acropole est quelque chose de très beau et de très profond. Cela m’a impressionné et je suis vraiment ravi de penser que j’ai des amis capables de sentiments tellement rares, de sensations tellement solitaires. Moi-même j’ai bien des fois rêvé et voyagé avec fantaisie sur ces chemins si peu fréquentés, et où l’aventure intellectuelle va si loin qu’on risque de s’égarer dans la folie. Cela a été le cas de Nietzsche. Nous qui sommes des artistes et surtout nous qui sommes des peintres, avons besoin d’autre chose, surtout aujourd’hui où la peinture se débat dans une décadence telle qu’aucun autre moment de l’histoire de l’art n’en a connu de pareille. La chose la plus lamentable est qu’il y a aujourd’hui un tas d’individus qui de mauvaise foi nient cette décadence parce que c’est dans leur intérêt de la nier. Ils construisent des trésors pour leurrer leur prochain. Malheureusement pour eux ces théories puent l’opportunisme à dix kilomètres de distance. Il y a aujourd’hui une espèce d’embourgeoisement et de couardise qui consiste à se coucher prudemment sous l’égide du modernisme et à s’étendre commodément sous les couvertures de ce qu’on appelle l’art d’avant-garde. Ces théories, malheureusement pour ceux qui les font, ont un défaut, un gros défaut: elles font penser un peu trop à la fameuse fable: Le renard et les raisins. Dans ces théories on sent toute l’inquiétude et le mécontentement qui tourmentent leurs auteurs, on sent aussi l’envie qu’ils éprouvent pour ceux qui peuvent cueillir les raisins.
« Il est tard, cher ami, je vous propose de coucher chez moi et demain matin vous prendrez le train pour rentrer chez vous. Avant de nous abandonner tous les deux dans les bons bras de Morphée, je vais vous lire ce qu’a écrit récemment Isabella Far, la nymphe égérie de nous autres les vrais peintres, de nous autres qui travaillons et luttons pour faire renaître la peinture et rapporter l’art dans son sanctuaire. C’est de notre côté que se trouvent aujourd’hui la lutte, l’aventure et l’avenir; c’est nous qui conduisons le baroud ; tandis que les autres là-bas, les poltrons en béret phrygien, les sans-culottes en robe de chambre, s’agitent en grimaçant et crispent leurs visages teints par la jaunisse … »
Monsieur Dudron se leva et alla vers sa bibliothèque pour chercher le volume qui contenait les écrits de Isabella Far. L’ayant trouvé il revint vers son ami, ouvrit le livre et commença à lire: « Portraits et natures mortes, essais de critique philosophique, par Isabella Far.
 « Au temps des siècles d’or de la peinture le tableau était une œuvre d’art. Les peintres peignaient des tableaux d’une valeur hautement artistique, des peintures d’une qualité supérieure, des créations qui étaient de l’art.

 

Isabella Far, quinto episodio: Ritratti e nature morte [1]

    L’amico del Signor Dudron tacque. Anche il Signor Dudron non disse niente, ed i due uomini continuarono a camminare in silenzio nella notte, fianco a fianco.
Intanto erano giunti alle porte della città. Siccome tutti e due erano un po’ stanchi perché avevano camminato per tanto tempo, il Signor Dudron invitò il suo collega ed amico a salire da lui per riposarsi un poco e per bere qualche cosa.
Quando furono nello studio del Signor Dudron questi pregò suo amico di accomodarsi confortevolmente su una poltrona e di stendere le gambe, per riposare meglio, sopra uno sgabello. Poi il Signor Dudron andò a prendere una bottiglia di vino vecchio e due bicchieri, e mentre si sistemava in un’altra poltrona dopo aver versato il vino ed acceso la sua pipa, cominciò così: «Quello che Lei mi ha raccontato or ora, mio caro amico, la sua avventura all’acropoli, una cosa molto bella e molto profonda. Mi ha veramente colpito tutto ciò, e sono davvero contento di pensare che ho degli amici capaci di sentimenti cosi rari, di sensazioni così solitarie. Anch’io ho molte volte sognato e viaggiato con la fantasia per queste vie così poco frequentate e dove l’avventura intellettuale porta così lontano che si rischia di smarrirsi nella pazzia. Così è successo a Nietzsche.
Noi che siamo artisti e specialmente noi che siamo pittori abbiamo bisogno di altro, particolarmente oggi che la pittura si dibatte in una decadenza tale che non ha riscontro in nessun altro momento della storia dell’arte. La cosa più dolorosa è che oggi vi è un gran numero di individui i quali in malafede negano questa decadenza perché è nel loro interesse negarla. Costoro costruiscono delle teorie per adescare il prossimo. Per loro sfortuna queste teorie puzzano di opportunismo a dieci chilometri di distanza. Esiste oggi una specie di imborghesimento e di codardia che consiste nell’adagiarsi prudentemente sotto l’égida del modernismo e stendersi comodamente sotto le coperte di quello che si chiama l’arte di avanguardia. Queste teorie, per sfortuna di coloro che le fanno, hanno un difetto, un grande difetto; esse fanno pensare un po’ troppo alla famosa fiaba: la volpe e l’uva. In quelle teorie si sente tutta l’inquietudine, tutto il malcontento che tormentano i loro autori, e si sente anche l’invidia che coloro provano per quelli che sono capaci di cogliere l’uva.
È tardi, mio caro amico, Le propongo di dormire da me e di prendere il treno per tornare a casa domani mattina. Prima che ci abbandoniamo tutti e due nelle buone braccia di Morfeo vorrei leggerLe quel che ha scritto recentemente Isabella Far, la ninfa Egeria di noialtri veri pittori, di noi altri che lavoriamo e lottiamo per fare rinascere la pittura e per riportare l’arte nel suo santuario. È dalla parte nostra che oggi sono la lotta, l’avventura e l’avvenire; siamo noi che sentiamo il [ … ]; mentre gli altri laggiù, codardi col berretto frisio, sans-coulottes in veste da camera, si agitano facendo smorfie e contraggono le loro facce tinte dall’itterizia».
Il Signor Dudron si alzò e andò verso la sua libreria per cercare il volume degli scritti di Isabella Far. Come l’ebbe trovato tornò dal suo amico, aprì il libro e cominciò a leggere: «Ritratti e Nature morte, saggi di critica filosofica di Isabella Far.
Al tempo dei secoli d’oro della pittura il quadro era un’opera d’arte. I pittori dipingevano quadri di un valore altamente artistico, pitture di qualità superiore, creazioni che erano arte.

Nota 1

In questo quinto episodio, come nel precedente, non è Isabella Far a parlare ma il signor Dudron a leggere al suo amico i saggi della “grande pensatrice”: usciti a firma Giorgio de Chirico in “L’Illustrazione Italiana” rispettivamente il 10 e 24 maggio 1942.

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